Il y a un peu plus d’an de ça, j’ai fait la critique d’un roman de Gilles Legardinier, Demain j’arrête !. Pour les gens du fond qui ne suivaient pas, j’ai détesté ce roman. Un an plus tard, lors de la visite bisannuelle de mes parents, ma mère m’a vivement conseillé Complètement Cramé !, tout en sachant que je n’avais pas aimé le précédent. Je l’avais sous la main, alors je me suis attelée à sa lecture, sans beaucoup d’espoir cependant.
Ceci est donc le récit de cette nouvelle aventure au pays de Legardinier et des romans aux titres saugrenus. Et on commencera comme de coutume par le quatrième de couverture.
Arrivé à un âge où presque tous ceux qu’il aimait sont loin ou disparus, Andrew Blake n’a même plus le cœur à orchestrer ses blagues légendaires avec son vieux complice, Richard. Sur un coup de tête, il décide de quitter la direction de sa petite entreprise anglaise pour se faire engager comme majordome en France, pays où il avait rencontré sa femme. Là-bas, personne ne sait qui il est vraiment, et cela lui va très bien.
Mais en débarquant au domaine de Beauvillier, rien ne se passe comme prévu… Entre Nathalie, sa patronne veuve aux étranges emplois du temps ; Odile, la cuisinière et son caractère aussi explosif que ses petits secrets ; Manon, jeune femme de ménage perdue ; Philippe, le régisseur bien frappé qui vit au fond du parc, et même l’impressionnant Méphisto, Andrew ne va plus avoir le choix. Lui qui croyait sa vie derrière lui va être obligé de tout recommencer…
Je ne sais pas vous, mais rien que ce résumé donne beaucoup plus envie que celui de son prédécesseur. Mais mon avis est sans doute biaisé. En tout cas, au moins cette fois ci nous n’avons pas à subir les pérégrinations complètement sottes d’une femme qui pense avec ses ovaires, puisque le héros est un vieil – enfin, vieux, tout est relatif – homme usé par l’existence et qui ne se remet pas du deuil de son épouse. Un vieil homme avisé et cultivé, mais qui n’a pas oublié son âme d’enfant puisqu’il partage avec son meilleur ami une forme d’humour très british, et j’aime l’humour anglais.
Qu’est-ce que ça raconte ? Exactement ce que le résumé nous raconte. Monsieur Blake, chef d’entreprise qui s’en sort tout à fait bien l’essentiel du temps, décide un beau jour de remettre les rênes de ladite entreprise entre les mains de sa compétente secrétaire, et de s’en aller au fin fond de la France pour travailler en tant que majordome auprès d’une vieille dame excentrique. Là bas, il fait la connaissance d’une cuisinière assez revêche à première vue, un jardinier haut en couleurs, une bien jeune femme de ménage, un petit garçon débrouillard du nom de Yanis, et un gros chat bien placide du nom de Méphisto (et un chien du nom de Youpla, mais moi et les chiens…). Et parce qu’il est particulièrement intrigué par les us et coutumes locaux, par le mystère que posent les habitudes de sa patronne ou encore l’hostilité entre la cuisinière et le jardinier, il va se mêler de tout ça.
Et c’est super. Juste, super.
Tout comme son précédent roman, Complètement Cramé est une comédie qui raconte de manière légère et amusante des scènes de la vie de tous les jours dans cette étrange vieille demeure française. Ça n’a rien de particulièrement trépidant, ni de particulièrement nouveau, mais ça fonctionne ! Je parlais également dans ma précédent critique du fait que Julie se mêlait de choses qui ne la regardaient pas, le lecteur attentif me fera sans doute remarquer qu’Andrew fait de même à une ou deux reprises. Mais l’attitude d’Andrew est posée, réfléchie. Cet homme ne va pas se ridiculiser dans le processus, ni inventer des processus rocambolesques pour arriver à son but – quoique, il se passe des choses intéressantes pendant Halloween, notamment une histoire de fantôme et de poêle à frire – et son raisonnement vise à améliorer une situation (par chance, ça marche). Quant à la question des femmes menées par les hormones, il y a bel et bien des histoires sentimentales dans ce roman, mais elles progressent intelligemment et je m’y suis bien mieux retrouvée que dans les états d’âme de l’héroïne de Demain j’arrête!.
Évidemment, on n’est pas à l’abri des leçons de vie – ou de morale – sirupeuses typiques de ce genre de roman. En bonne fan de Marc Levy, je commence à être rodée, et c’est même là ce qui me plait, le fait de mélanger humour et sentimental. Le côté « tranche de vie » est également plaisant. J’éprouve ce même plaisir à lire les romans de Pennac, par exemple, la vie quotidienne de gens plus ou moins ordinaires, de toutes les générations, avec leurs spécificités, leurs idées préconçues, leurs passés… Bref, des gens humains. Et les dialogues, pleins de petits traits d’humour et de sincérité (ou de mauvaise foi, n’est ce pas Odile), sont savoureux.
Un des aspects qui ont fait que je n’ai pas aimé les mésaventures de Julie dans le précédent roman était sa propension à mentir sans vergogne. Elle s’enfonçait dans ses mensonges au fil de l’histoire au lieu d’être honnête, une attitude qui me déplait au plus haut point. Ici, Andrew ne ment pas, même s’il dissimule son identité – en tant que chef d’entreprise – il n’essaie pas de tromper son monde pour autant. Lorsqu’on lui pose des questions sur son passé, sa femme décédée, sa fille perdue de vue, il ne cache pas la vérité. Il ne s’invente pas une identité, il reste lui même, l’anglais qui découvre la culture française et s’efforce de comprendre les spécificités linguistiques locales.
A propos de spécificités linguistiques, l’une des ficelles humoristiques de ce roman, c’est le choc des cultures. Entre l’anglais et les français, mais aussi entre le jardinier et la cuisinière, ou même la jeune fille et le vieil homme, voire entre le chat et sa maitresse – j’ai d’ailleurs beaucoup aimé les passages du roman étant ceux où Andrew étudie le comportement du chat pour expliquer certaines de ses attitudes. Les personnages apprennent à se connaitre, font face à des quiproquos ou de francs motifs de désaccord, et finalement parviennent à s’apprivoiser.
Et ça, j’aime. Que l’arrivée d’un nouveau venu fasse évoluer les mentalités en mieux, résolve certains problèmes et crée une proximité qui n’existait pas avant. Que cet homme qui n’avait plus foi en l’existence trouve l’amitié et même la rédemption simplement en aidant les autres. Et c’est un travail qui porte ses fruits et mène à une fin satisfaisante, qui nous fait tourner la dernière page avec un sourire aux lèvres et l’agréable sensation d’avoir passé un bon moment en compagnie de tous ces gens ordinaires, et pourtant devenus si uniques à nos yeux.
Sans oublier le chat.
N’oublions pas le chat.
extra!
J’aime énormément ta critique, qui raconte avec précision le ressenti sans rien révéler de l’histoire. Tu es très forte.
Du coup, je crois que je vais le relire tiens!
je me réponds à moi même…
Oui, Le chat, je l’aime bien le chat moi aussi.